Rencontre et Signal (Neige)

La boule lumineuse appelée soleil est déjà levée depuis plusieurs heures quand je m'éveille de mon sommeil nocturne. J'ouvre mon esprit à ce qui m'entoure et je bâille en ouvrant grand la gueule: je sens l'air frais de la voûte de pierre où j'ai élu domicile qui s'engouffre dans ma gorge, caressant mes crocs au passage. Je m'étire un moment avant de me mettre sur mes pattes: je me dirige machinalement vers le ruisseau et lorsque mes quatre pattes avants rencontre l'eau froide du petit torrent, le souvenir de ma rencontre avec Amadeus surgit dans mon esprit et malmène la cicatrice encore douloureuse que sa mort a laissé en moi: il fut mon premier Cosanta, mon premier Protégé, le premier être vivant que mon sixième sens m'a désigné, alors que je n'étais même pas encore sortit de mon cocon. Ce fut tout de même lui qui m'enseigna les règles de base de la vie, et c'est grâce à son savoir qu'à présent je ne vit pas dans l'ignorance du monde qui m'entoure!
Je me désaltère brièvement au ruisseau tout en occultant tant bien que mal la douleur cuisante de la cicatrice qui électrise douloureusement tout mon corps. Les animaux et les humains ne comprendraient pas ma douleur: après tout, je suis constitué comme un vaisseau blindé! Ma peau épaisse laisse difficilement passer les armes métalliques, et les attaques des éléments ne fonctionnent presque pas sur moi! Non, le seul moment où je suis réellement vulnérable, c'est quand mon Protégé meurt: dès cet instant et pendant les sept jours qui suivent, tout mon corps devient fragile et vulnérable comme de la peau humaine, et mon esprit torturé sombre dans la folie de la douleur... Heureusement, ça ne m'est arrivé qu'une seule fois et j'étais seul! Mais malheureusement, j'ai échoué dans ma mission: je me devait de protéger mon Cosanta, mais je l'ai laissé partir sans moi alors que j'aurais dû le retenir, ou bien le suivre.
Je m'arrache brusquement de mes douloureux souvenirs et je sors lentement de ma grotte fraîche pour affronter la nuit quasi-constante de la journée sur ce continent qui m'a vu naître. La chance est que je peux avaler vraiment n'importe quoi pour me nourrir: de l'herbe, de la viande, du métal, voir de la roche ou du sable, mon corps digère tout! Cependant, la difficulté est de varier mon menu, au risque d'être en manque de nutriments. Les mousses fluorescentes qui constituent le paysage de mon sous-sol sont la seule source d'énergie disponible sous terre. Je me dirige vers la paroi rocheuse la plus proche et arrache de gros morceaux de mousse en me servant de mes griffes. Puis, je mâche longuement les morceaux de mousse avant de les avaler vite fait: plus je mâche longtemps, plus vite c'est digéré et donc, plus vite je peux utiliser l'énergie qui résulte de ma digestion. Je décidait ensuite de sortir dehors, histoire de m'aérer et aussi de vérifier s'il n'y a pas de petits animaux à se mettre sous la dent...
A peine je fus sortit que mon instinct m'alerta d'un danger imminent: je ne savais pas ce que c'était, mais je dépliais mes ailes et me cachait à tire d'aile dans les ruines, d'où j'attendis de voir ce qui allait se passer. Quelques instants plus tard, je sentis que quelqu'un ou quelque chose approchait. A cet instant, une sensation familière m'étreignit: une boule dans la gorge, un nœud dans l'estomac, une sensation de fourmillement dans mes six pattes, un soudain regain d'adrénaline inexpliqué...

Mon futur Protégé se trouvait tout près...

Neige se trouvait ce jour là, totalement par hasard, devant un des châteaux maudits. Elle avait longuement étudié les diverses histoires qui étaient racontées dessus, et, faute d'idée précise sur la question, elle avait préféré aller voir d'elle-même ces étranges bâtiments. Elle voulait percer leur mystère, et peut-être y trouver la force d'être la protectrice du monde. Oui, elle avait cette ambition, devenir celle vers qui n'importe qui pouvait se tourner pour demander de l'aide, celle que tous les justes admireraient et rejoindraient, et que toutes les âmes sombres craindraient. Cependant, elle en était encore bien loin : sa puissance était certes enviable, mais insuffisante. C'était donc dans un des châteaux maudits qu'elle cherchait cette force ce jour là.

Marchant tranquillement, Neige ne se pressait pas. Elle ne sentait aucun danger, elle pouvait donc être rassurée. Elle prévit tout de même de garder sa lame à la main, afin de ne pas se faire surprendre. Elle haïssait la violence, mais pourtant, elle y était bien obligée : d'autres êtres n'étaient pas aussi pacifiques qu'elle. Tout en admirant l'imposant bâtiment, elle laissait son intuition vagabonder, afin de détecter un éventuel danger, sachant bien que le lieu était loin d'être sûr.

Tout à coup, elle entendit un froissement d'ailes venir du côté. Se tournant rapidement, elle scruta les environs, ne voyant pourtant rien de particulier. La dragonne s'approcha lentement, peu rassurée, mais ne trouva toujours rien. Elle entreprit donc d'entrer dans le château, faisant bien attention au moindre de ses gestes, afin d'être sûre de ne pas faire d'erreur et se laisser surprendre. Cette fois, elle en était certaine, quelqu'un ou quelque chose se cachait dans les environs. Elle chercha longuement, attentive, et finit par trouver une créature étrange et très bien dissimulée. Observant attentivement, Neige essaya d'identifier la chose : elle n'en crut pas ses yeux. C'était un caomhnaigh qui se trouvait devant elle! Elle en avait entendu parler, mais d'après l'idée commune, cette race n'était qu'une légende, et n'existait pas. Effrayée, elle se recula un peu, et balbutia :

"Je suis désolée, je ... Je ne vous veux aucun mal..."

La demoiselle n'avait aucune idée de comment s'adresser à un caomhnaigh. D'après ce qu'elle avait lu dessus, ces créatures étaient aveugles, et se servaient de leur esprit pour "voir". Elle tenta donc de lui montrer du mieux qu'elle pouvait ses intentions pacifiques, espérant que la créature comprendrait et ne l'attaquerait pas.

Toujours caché derrière un tas de pierres dans les ruines du château, j'aperçut bientôt un bipède arriver par le Nord. C’était une bipède femelle, aussi étrange que les autres, mais tout en étant très différente : elle n’avait pas les mêmes yeux ni les mêmes crocs qu’Amadeus… Oh non: Amadeus… Je sentis soudain la cicatrice dans mon esprit se réveiller : à chaque fois que je pense au vampire qui a été mon premier Cosanta, la cicatrice me rappelle cruellement et douloureusement mon échec… Je n’ai pas su le protéger, j'ai laissé mon protégé mourir… Je secoue la tête et retient un grognement de douleur et préfère examiner les réactions de la bipède : elle s’était approchée des ruines et y était entrée. Elle n’avait pas l’air rassurée. Soudain, son regard se posa sur moi, et je ressentit le Sinigh plus intensément qu’avant : c’était elle ! C’était cette bipède que mon Ciall Séu a choisie!

Quand son regard se posa sur moi, elle recula de quelques pas en balbutiant des excuses, tout en ajoutant qu’elle ne voulait pas me faire de mal. J'essayais de retenir un soupir amusé : je n’avais nullement l’intention de l’attaquer ! Les seuls moments où un Caomhnaigh était dangereux et attaquait pour rien, c’était durant les sept jours qui suivaient la mort de son Protégé. Mis à part ces instants douloureux et incertains, nous n’étions pas du genre agressifs, sauf bien sûr quand on menace nos Protégés…

Je sortis lentement de ma cachette et m'approchait doucement de la bipède. Puis je m'assit à environ trois mètres d’elle et fit ce que je devais faire pour sceller le lien et déclencher le Sinigh chez la bipède : je projetais mon esprit et effleurait ses pensées… Quand j'entrais dans sa tête, je me rendit bien vite compte de mon erreur : elle n’avait de bipède que l’apparence… Elle n’était pas humaine ! Elle était même aussi quadrupède que moi ! Enfin, j'étais plutôt sextupède, vu que j'ai six pattes et non pas quatre, mais bon, c’est plus ou moins pareil, non ? Je décidait de lui adresser la parole dans ses pensées:

« Je m’appelle Caomhnòra, le Gardien, et toi, tu est ma Cosanta, ma nouvelle Protégée… »

J'avoue que j'étais très curieux de voir la réaction de la demoiselle...

Lentement, le caomhnaigh sortit de sa cachette et vint s'asseoir à quelques mètres de Neige. Celle-ci se détendit un peu : il ne semblait pas vouloir lui faire du mal, sinon il l'aurait sûrement déjà fait depuis longtemps. La dragonne s'assit également, avant de sentir une sensation étrange : le caomhnaigh semblait scruter son esprit et ses pensées. Elle se laissa faire docilement, ne tentant pas de cacher quoi que ce soit afin de ne pas perturber la créature. Après tout, elle ne savait toujours pas de quoi elle était capable, et ne connaissait pas ses intentions. Semblant comprendre son désarroi, le caomhnaigh répondit à ses interrogations en parlant directement à l'esprit de Neige :

«Je m'appelle Caomhnòra, le Gardien, et toi, tu est ma Cosanta, ma nouvelle Protégée…»

Sa protégée? Neige avait du mal à y croire. Elle ne voyait pas pourquoi elle était devenue la protégée de ce Caomhnòra, n'ayant rien fait pour le mériter ou le vouloir. Elle ne se doutait même pas auparavant de l'existence de son espèce, croyant toujours qu'il s'agissait d'une simple légende. Se remettant petit à petit de sa surprise, elle se mit à réfléchir aux conséquences de ce qu'elle venait d'apprendre. Elle serait désormais accompagnée d'une créature dont le but était de la protéger. Elle aurait donc un soutien de poids dans son projet de rendre le monde meilleur. Bien sûr, elle ne voulait pas de protection pour elle même, n'en sentant pas le besoin (qui était pourtant bien présent), mais elle pourrait sûrement demander à Caomhnòra d'aider les autres également. La dragonne craignait également que le prix à payer ne soit énorme. Pesant bien chacun de ses mots, elle répondit à la créature :

"Enchantée, Caomhnòra. Je m'appelle Neige, et je suis une dragonne. Je te remercie de m'accorder ta protection, mais j'ai encore beaucoup de questions à te poser... Qu'entends-tu exactement par "protégée"? Et surtout, est-ce que je te dois quelque chose en échange?"

Toujours assise, Neige se mit à jouer nerveusement avec une de ses mèches de cheveux. Lorsqu'elle était venue, elle ne s'attendait pas du tout à faire une telle rencontre, et saisissait toujours mal ce que cela signifiait exactement. Elle comptait sur les réponses que lui donnerait Caomhnòra pour y voir plus clair.

» Neige Cornera